Justifier la révocation d’un dirigeant : les preuves obtenues de manière déloyale peuvent être écartées

L’entreprise qui, en vue de prouver les actes déloyaux commis par le dirigeant qu’elle vient de révoquer, fait appel à une étude d'huissiers dont l'un des associés est le frère de son nouveau dirigeant, sans qu'une situation d'urgence ne soit établie, obtient déloyalement un moyen de preuve.

Une société révoque son gérant et le remplace immédiatement. Afin de se constituer des preuves dans la perspective d’un contentieux avec l’ancien gérant, elle fait appel à une étude d’huissiers. Sur la base des procès-verbaux établis par l’huissier, elle reproche à son ancien gérant d’avoir participé à la constitution d’une société concurrente. L’ancien dirigeant conteste la validité de ces éléments de preuve, selon lui déloyaux, et il obtient gain de cause.

Il résulte de l’article 6, 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Après avoir rappelé ce principe, la Cour de cassation annule les procès-verbaux. En effet, il résultait des éléments suivants que la société mandante avait eu la volonté de se constituer des preuves de façon déloyale et inéquitable, faisant naître un doute raisonnable sur l’impartialité et l’indépendance de l’étude d’huissiers de justice désignée : l’un des associés de l’étude d’huissiers mandatée était le frère du nouveau gérant de la société et il avait personnellement établi certains des constats « les plus lourds » qui avaient été versés aux débats ; si le choix de cette étude, située à Paris, dans la perspective d’un contentieux à Soissons, était motivé par sa célérité à agir, l’urgence de la situation n’était pas établie dès lors que l’ancien gérant n’avait plus accès aux locaux de la société ni à son ordinateur professionnel ; faute d’urgence particulière à agir, la société avait entendu se constituer des preuves sans saisir un juge pour éviter, d’une part, la désignation d’une autre étude que celle du frère du nouveau gérant par le juge, d’autre part, la procédure en rétractation qu’aurait pu engager l’ancien gérant pour demander la désignation d’une autre étude, afin de procéder à des constats contradictoires. La société n’invoquait aucune atteinte au droit à la preuve.

À noter

Le principe selon lequel une preuve illicite ou déloyale peut être admise dans un procès civil, à condition qu’elle soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte qu’elle porte à un autre droit soit strictement proportionnée au but poursuivi, est désormais bien ancré dans la jurisprudence. Si, dans le cas présent, les constats ne sont pas seulement écartés des débats mais annulés, c’est que les huissiers ne peuvent pas instrumenter à l’égard de leurs parents et alliés à peine de nullité de l’acte instrumenté. L’interdiction vaut aussi pour les commissaires de justice.

La nullité peut être invoquée en tout état de cause dès lors que les circonstances sont de nature à faire naître un doute raisonnable, objectivement justifié, sur l’impartialité et l’indépendance de l’huissier.

 

Cass. com. 12-2-2025 n° 23-18.415

© Lefebvre Dalloz

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