Déduction à tort d’une perte sur une créance provisionnée : quelle incidence pour la société ?

La société qui déduit à tort une perte sur créance irrécouvrable ne peut pas revenir sur sa décision de reprendre la provision pour créance douteuse correspondante par voie de réclamation ou de compensation. Telle est la solution rigoureuse retenue par le Conseil d’État, fondée sur l’obligation de comptabilisation des provisions.

À l’origine du litige, la remise en cause de la déduction d’une perte sur une créance provisionnée

Les faits à l’origine de l’affaire présentée devant le Conseil d’État sont les suivants. Une société avait constitué une provision pour dépréciation d’une créance douteuse au cours de son exercice clos en 2011. Estimant cette créance irrécouvrable au cours de l’exercice suivant, la société avait :

  • d’une part, déduit une perte d’un montant correspondant au montant de la provision qui avait été constituée ;
  • d’autre part, procédé à la reprise de la provision devenue sans objet.

Toutefois, à l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a réintégré dans le résultat de l’exercice clos en 2012 le montant correspondant à la perte sur créance déduite par la société, au motif que la créance avait été regardée à tort comme irrécouvrable par la société.

Si la cour administrative d’appel de Douai a validé la remise en cause par l’administration de la déduction de la perte sur créance irrécouvrable, elle a en revanche fait droit à la demande de compensation de la société entre le rehaussement de ses bases imposables et le rétablissement de la provision que la société avait reprise au cours de son exercice clos en 2012 (CAA Douai 2-12-2021 n° 19DA02129). On rappelle que le mécanisme de l’article L 205 du LPF permet aux contribuables à l’encontre desquels l’administration effectue une rectification de demander la compensation de droits lorsqu’une surtaxe a été commise à leur détriment ou lorsqu’ils subissent une double imposition. Selon la cour, la réintégration opérée par l’administration faisait apparaître une double imposition au préjudice de la société requérante dans la mesure où cette dernière avait, au cours du même exercice, procédé à la reprise de la provision précédemment constituée à raison du caractère douteux de cette même créance.

Saisi du pourvoi formé par l’administration à l’encontre de cet arrêt, le Conseil d’État censure la position de la cour sur la demande de compensation de la société. Il s’appuie sur l’obligation de comptabilisation des provisions à laquelle les dispositions de l’article 39, 1-5° du CGI subordonnent la déduction des provisions au plan fiscal.

Le défaut de comptabilisation d’une provision ne pouvant être corrigé...

Le Conseil d’État tire les conséquences du principe selon lequel une provision ne saurait être déduite du résultat de l’exercice si elle n’a pas été effectivement constatée dans les comptes à la clôture de l’exercice. Suivant l’analyse menée par son rapporteur public, il juge en effet que le défaut de constitution d’une provision n’est pas susceptible de faire l’objet d’une correction demandée par voie de réclamation ou, après l’expiration du délai de réclamation, par voie de compensation à l’occasion d’un rehaussement.

Le rapporteur public rappelle dans ses conclusions que la décision de constituer une provision et de la reprendre constitue une décision de gestion opposable à l’entreprise. Or, la solution préconisée par la cour administrative d’appel de Douai, qui témoigne selon lui d’une forme de bienveillance à l’égard de la société requérante, reviendrait à faire fi de la décision prise par la société de reprendre la provision pour créance douteuse au cours de l’exercice clos en 2012, et au contraire à maintenir cette provision au bilan de cet exercice.

La présente décision s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle une entreprise ayant choisi de ne pas doter une provision ou de la doter pour un montant moindre que celui auquel elle aurait pu prétendre ne peut revenir ultérieurement sur une telle décision de gestion pour compenser une rectification (CE 21-10-1987 nos 48261 à 48263). On relèvera que la doctrine administrative est dans le même sens (BOI-BIC-PROV-20-20 n° 60).

... aucune compensation n’est possible à l’occasion de la réintégration de la perte

Le Conseil d’État en déduit que la cour administrative d’appel de Douai ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, accorder le bénéfice de la compensation à la société requérante. Dès lors que la provision pour créance douteuse a été reprise au cours de l’exercice clos en 2012, elle ne figurait plus au bilan de clôture de cet exercice. L’absence de déduction du montant de la provision pour la détermination du résultat de l’exercice clos en 2012 ne pouvait donc pas être regardée comme caractérisant une surtaxe commise au détriment de la société ou une double imposition de nature à ouvrir droit à une demande de compensation à l’occasion de la réintégration par l’administration de la perte sur créance irrécouvrable.

La seule possibilité offerte aux entreprises qui se trouvent dans une telle situation consiste donc à réinscrire à leur actif le montant la créance en cause et à constituer une nouvelle provision pour créance douteuse au titre d’un exercice postérieur au redressement. Mais, encore faut-il que toutes les conditions fixées par l’article 39, 1-5o du CGI soient respectées.

 

CE 8e-3e ch. 18-10-2022 n° 461039

© Lefebvre Dalloz

 

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